De la difficile question de l’acceptabilité du couple libre ou du polyamour par un partenaire qui n’arrive pas à s’y faire.
Dans mon apologie du couple libre, je présente la démarche comme parfaitement rationnelle. Le seul gros obstacle qui reste une fois qu’on a réussi à s’affranchir des préjugés culturels, et même quand le couple sait se parler et se comprendre, c’est la jalousie. La jalousie étant à mon sens une manifestation primale de territorialité et/ou d’insécurité, il semble raisonnable de chercher à l’apprivoiser. Et en somme le couple libre devrait couler de source.
Pourtant, malgré tous les efforts du monde, malgré toute la communication, et bien qu’on comprenne que rationnellement ça devrait être faisable, il peut s’avérer viscéralement impossible à l’autre de renoncer à l’exclusivité. Certes je ne suis pas la propriété de ma femme et certes je lui reconnais la même liberté que celle que je veux. Mais ce n’est pas pour ça qu’elle est obligée d’accepter l’idée que je ne sois pas qu’à elle.
J’aime bien ce que j’ai lu sur le profil d’un membre du site polyamour.info, mais si la citation fait sourire, c’est bien parce que ce n’est pas aussi simple :
"Après tout, moi je ne lui demande pas d’être « poly », donc elle pourrait tout simplement ne pas me demander d’être « mono », et tout irait bien."
Dans « couple libre », il y a « libre ». Et la liberté de ma femme, c’est aussi celle de partir. La mienne, c’est de choisir ce que je préfère entre renoncer au pluriel du mot « amour », et renoncer à elle. C’est un choix douloureux pour tous les deux. C’est un choix qu’on peut déplorer parce qu’on a l’impression qu’il suffirait de faire sauter le verrou de la jalousie pour que tout s’arrange. Mais « couple libre » ou « polyamour » ne pourront jamais être des formules magiques pour venir à bout de la jalousie ou pour normaliser une situation que l’un des deux trouve profondément insatisfaisante.
Epilogue polémique
Je viens d’écrire que je ne suis pas aussi bienveillant que d’autres concernant la jalousie. La jalousie est peut-être naturelle dans l’espèce humaine, mais à mon avis ni plus ni moins que le racisme. Et dès lors qu’on exclut qu’un conjoint puisse se considérer propriétaire de l’autre, le sentiment de jalousie n’est pas légitime comme argument de négociation.
On ne peut pas dire : « je souffre qu’un autre te touche, donc tu dois arrêter pour faire cesser ma souffrance ». D’autres souffrances sont légitimes : quand la personne trompée est trahie, dénigrée, bafouée. Mais quand l’infidèle vit son infidélité dans le strict cadre de sa propre liberté individuelle et dans le respect de l’autre et de son couple, la jalousie de l’autre ne peut pas lui être opposée.
L’infidèle a tout intérêt à écouter cette souffrance et faire des compromis, mais si le dialogue et les arrangements ne suffisent pas, le jaloux ne peut pas forcer l’infidèle à renoncer. Et comme l’infidèle ne peut pas forcer le jaloux à vivre avec sa souffrance, le jaloux est libre de partir. Comme le raciste est libre de déménager quand ses nouveaux voisins sont noirs. C’est triste, mais c’est comme ça.
article paru sur "http://lesfessesdelacremiere.wordpress.com/2013/03/17/libre-de-partir/"